Description du F-35
Trente ans après le programme LWF (Light Weight Fighter) qui a donné
naissance au F-16 -puis au F-18 - et a mis à mal l'industrie européenne en la
privant d'une part de son marché naturel, les Etats Unis renouvellent
l'opération, mais cette fois ci avec des moyens encore accrus. C'est au point
que nombre d'observateurs, y compris aux Etats Unis, voient dans le programme
JSF (Joint Strike Fighter) et le F-35 qui en est issu autant une stratégie
industrielle destinée à tuer la concurrence européenne une fois pour toute, que
le premier programme de développement d'une nouvelle génération d'avions de
combat.
Un avion à tout faire
Pour remplacer une série d'avions aussi divers que les F16, A-10, F /A-18 etAV-8B
Harrier en, service dans l'US Air Force, l'US Navy et les Marines, le
Département de la défense américain a lancé au milieu des années 1990, un
programme de démonstration très ambitieux. Il ne s'agissait rien de moins que de
réaliser une première technologique, industrielle et politique absolue. Personne
n'avait, en effet, jusqu'ici, produit un avion à hautes performances qui ait à
la fois une version terrestre, une version navale embarquée et une version à
décollage court et atterrissage vertical (STOVL dans l'argot US). Personne non
plus n'avait envisagé de produire un tel avion en série à un prix aussi bas,
autour de 35 M$ l'unité au début du programme.
Personne enfin, ou presque, n'avait réussi à mettre d'accord l'US Air Force, la
Navy et les Marines suffisamment longtemps pour mener à bien un programme
d'avion commun.
Concilier l'inconciliable
Après une compétition acharnée, en novembre 1996, Lockheed Martin et Boeing
étaient sélectionnés par le Pentagone pour mener à bien le programme de
démonstration, cependant que McDonnell Douglas était éliminé -ce qui a sans
doute pesé dans sa décision de se vendre à Boeing un an plus tard. Peu après
Lockheed Martin et Boeing recevaient des contrats sensiblement équivalents pour
construire chacun des démonstrateurs des trois versions prévues par le programme
JSF. C'est ainsi qu'autour des deux constructeurs se sont constituées des
équipes qui ont chacune construit deux appareils, les X-32 pour Boeing et les
X-35 pour Lockheed Martin (associé à Northrop Grumman). Il s'agissait grâce à
ces appareils de valider les points clé du programme, c'est à dire
essentiellement, les performances de base (y compris la furtivité), la communité
entre les trois versions qui doit atteindre environ 80%, et l'aptitude aux
opérations STOVL qui constitue de loin le défi le plus délicat. En effet cette
exigence du Marine Corps nécessite une profonde modification du système
propulsif qui n'est pas sans conséquence sur la masse de l'avion.
La liste des spécifications ressemble à un cauchemar :masse à vide de 10 à 12 t
pour une masse maximale au décollage de 23 à 26 t, rayon d'action de 1.000 à
1.400 km selon les versions, et vitesse maximale de Mach 1,4 à Mach 1,6. Le tout
assorti de coût d'acquisition très bas. Les objectifs d'origine, en dollars
1994, étaient fixés à 28 M$ pour la version terrestre, 35 M$ pour la version
embarquée et 38 M$ pour la version STOVL des Marines, ... mais en cas de succès,
l'espérance de produire prés de 3.000 appareils pour les seuls besoins
américains et de doubler la mise, ou plus, avec les marchés d'exportation.
Lockheed Martin vainqueur
Les deux constructeurs ont adopté des approches assez différentes. Lockheed
Martin a conçu son X-35 comme une sorte de petit F-22 et pour réaliser la
version STOVL, il a pris l'option de séparer le mode de fonctionnement
horizontal et vertical. À la transition, une soufflante à axe vertical, logée
juste en arrière du cockpit, est mise en route par l'intermédiaire d'un
embrayage à disque de carbone qui transmet les 25.000 ch. nécessaires. En
principe ce système permet une meilleure régulation entre avant et arrière que
l'option prise par Boeing dérivée de la formule mise au point pour le Harrier
britannique en l'automatisant.
Au bout du compte, le X-32 comme le X-35 ont mené à bien leurs programmes
d'essais de façon satisfaisante. Cependant, Lockheed Martin s'est montré plus
convaincant que son rival, notamment en ce qui concerne la furtivité, et le 26
octobre 2001, Lockheed Martin se voyait attribuer la responsabilité de passer de
son X-35 au F-35 dans le cadre d'un programme de développement estimé, à
l'époque, à quelque 20 à 25 Me.
Parallèlement au développement du programme de démonstration l'Administration
américaine a mis tout son poids pour convaincre le plus grand nombre possible de
pays " amis " de s'impliquer dans le programme de développement afin tout à la
fois de leur faire partager les coûts,d'accroître le marché de départ et de tuer
toute concurrence dans l'oeuf. Accessoirement, la participation étrangère est
aussi un moyen d'assurer la pérennité aux Etats Unis d'un programme qui ne fait
pas partout l'unanimité. E effet, si les Marines apportent un support sans
faille au F-35, le seul programme d'avion inclus dans leur budget, en revanche
l'US Air Force maintien sa priorité au F-22 -dont les coûts n'ont cessé de
croître - et l'US Navy souhaite avant tout compléter sa flotte de Super Hornet.
La Grande Bretagne a été la première avec son industrie, BAE Systems en tête, à
se rallier au JSF, la Royal Navy prévoyant d'acquérir quelque 150 appareils pour
succéder à ses Harrier. Il faut admettre qu'indépendamment de toutes
considérations technologiques ou opérationnelles, les promoteurs du JSF ont des
arguments solides à faire valoir pour attirer les partenaires dès la phase de
développement du programme. La seule production des quelque 3.000 avions
initialement prévus pour les besoins des Etats Unis et de la Grande Bretagne
devraient correspondre à un chiffre d'affaire de plus de 220 Md$. Comment
refuser de partager un tel pactole?
En moins de six mois après la sélection de Lockheed Martin, les Etats Unis ont
réussi à embarquer six pays européens dans le programme F35. Après la Grande
Bretagne, le Danemark a emboîté le pas suivi des Pays-Bas, de la Norvège, de
l'Italie et finalement de la Turquie. Le Canada s'étant également joint au
programme ce sont donc actuellement neuf pays qui participent au programme, dont
Singapour.
Les seuls pays européens vont ainsi investir plus de 4 Md$ dans le développement
d'un programme dont l'objectif affiché est d'éliminer la concurrence européenne.
Premier vol en 2005
En 2003, le budget américain qui prévoyait 1 Md$ pour le F35, a été porté
brutalement à 4,4 Md$ -mais dans le même temps le nombre total d'appareils à
produire pour les besoins américains était réduit de 2.850 à 2.457. Mais,
jusqu'ici, malgré les critiques, le financement du développement paraît assuré.
Il est prévu encore 5 Md$ au budget 2005. La phase de développement lancée dès
la sélection de Lockheed Martin doit durer onze ans. Les industriels
construiront et testeront 22 prototypes. Quatorze appareils devaient être
évalués en vol dès 2005, les huit autres doivent servir aux différents essais au
sol - sept pour les validations structurales, un pour les mesures de furtivité.
Chacune des trois versions sera représentée dans cette flotte expérimentale :
cinq pour la version US Air Force (F-35A), quatre pour la version US Navy
(F-35C) et cinq pour la version STOVL des Marines (F-35B). Le F-35 sera
développé suivant plusieurs évolutions de "blocks ", ces standards américains
correspondant à un équipement de plus en plus sophistiqué. Le premier devrait
être normalement celui des Marines qui ont un besoin urgent de remplacer leurs
vieux Harrier.
Le F-35 doit d'évidence beaucoup au F-22 Raptor développé par Lockheed Martin
pour l'US Air Force. Non seulement il en reprend les formes générales, mais
surtout, et c'est l'un des points qui a assuré le succès de Lockheed Martin, il
bénéficie de l'expérience accumulée en matière de furtivité. En particulier,
contrairement au projet Boeing qui nécessitait un changement de configuration
des entres d'air suivant le type de décollage, le F-35 a des entrées d'air sans
séparateurs de couche limite aussi efficace à vitesse nulle qu'à Mach 2..
L'autre point fort du F-35 est la très forte communité entre les trois versions,
estimée entre 70% et 90% par le Pentagone. Un exploit étant donné les intérêts
divergents entre les trois services américains.
On ne sait pas encore quel moteur animera le F-35. Les démonstrateurs étaient
équipés d'un propulseur Pratt & Whitney dérivé du F119-PW100 dont les origines
remontent au programme F-22, mais l'Administration américaine a décidé d'ouvrir
la compétition à General Electric. Le choix final ne doit intervenir que lors de
la quatrième étape du développement autour de 2008-2010. Si Pratt & Whitney et
General Electic doivent concevoir indépendamment leur propre moteur, les deux
propulseurs devront être totalement interchangeables.
Comme prévu, les deux dernières années sont apparues comme un temps mort dans le
programme en attendant le début des essais en vol. En avril 2004 les premiers
essais du système de propulsion développé par Pratt & Withney, Rolls-Royce et
Hamiton Standard pour la version F-35B ont eu lieu dans les délais prévus. En
revanche, comme on pouvait s'y attendre l'avion a pris du poids et l'adition
s'est alourdie. En avril 2005 une division interne du Pentagone, le CAIG (Cost
Analysis Improvement Group) estimait que le développement du F-35 pourrait bien
coûter 5 Md$ de plus que prévu. Un an avant, le Pentagone reconnaissait que le
coût global du programme aller s'alourdir de quelque 45 Md$, soit 22,6% par
rapport aux prévisions, pour atteindre 245 Md$, ce qui conduisait certains
parlementaires américains sur la nécessité de produire près de 2.500 avions.
Quant à la masse, c'est évidemment celle de la version STOVL, F-35B, qui est le
plus critique. Or il s'est révélé en mai 2004 qu'elle dépassait les prévision de
1,5 tonne. Une telle surcharge pondérale aurait non seulement posé un problème
pour l'avion, mais aussi pour les porte-avions qui doivent le recevoir. C'est
pourquoi au bout du compte, un programme de réduction de masse drastique a été
finalement approuvé par le Pentagone au début du mois de novembre 2004. Selon
les informations qu'il a lui même fournies, le constructeur serait parvenu à
gagner 1.225 kg sur la structure, le kilos restant étant compensés par une
optimisation de l'ensemble propulsif et de l'aérodynamique générale. Toutefois
cette réduction de masse aurait été obtenue au pris d'une diminution
significative des dimensions des soutes d'armement internes.
Les problèmes de poids ont également eu un impact sui le calendrier du programme
Aujourd'hui, le premier vol du F-35A (US Air Force) est fixé la fin 2006, celui
du F-35C (US Navy) au début 2008. Quant au prototype du F-35B (STOVL) il doit
avoir lieu au milieu de l'année 2007.